4 Introduction du droit de vote à 18 ans

4.1 La majorité civique à 18 ans
dans les cantons

En même temps à peu près que l’introduction du suffrage féminin, au début des années 1970, on a assisté à l’émergence du souhait d’abaisser la majorité civique à 18 ans. Si certains cantons de Suisse centrale permettaient à leur population jeune de se prononcer sur les objets cantonaux dès l’âge de 19, voire 18 ans (dès 1898 pour le canton de Schwyz, Poledna 2014) la majorité civique était fixée à 20 ans dans la majeure partie du pays. Cet abaissement était également motivé par le souhait de rajeunir l’électorat, notamment suite aux mouvances soixante-huitardes.

Comme pour le suffrage féminin, il y eut tout d’abord ­plusieurs essais d’abaissement de la majorité civique au niveau cantonal, ainsi que le montre la figure 7 (Année Politique Suisse, 1969–1992). Les cantons de Schaffhouse, du Tessin et de Zurich ont ainsi essayé à trois reprises, sans succès. Ce n’est qu’en 1991 que la majorité civique à 18 ans est finalement devenue une réalité à l’échelle du pays. Contrairement toutefois à ce qui s’est passé pour le suffrage féminin, il n’a pas fallu attendre vingt ans pour que l’ensemble des cantons l’introduisent à leur tour dans leur législation. Et le Tribunal fédéral n’a pas eu à intervenir dans les affaires cantonales pour accorder les pratiques: tous les cantons ont adapté leur législation durant la même année ou peu après. Le droit de vote à 18 ans a été rejeté 25 fois au total avant que la totalité des cantons ne finissent par l’adopter en 1992, soit un an tout juste après que toutes les Suissesses ont enfin été pleinement intégrées dans le processus politique.

  

4.2 Aperçu des résultats des votations
entre 1979 et 1991

4.2.1 La votation de 1979

  

Arrêté fédéral abaissant l’âge requis pour l’exercice du droit de vote et d’éligibilité (1979)

Date: 18.02.1979
Type de votation: référendum oblig.
Suffrages exprimés: 1 917 722 (49,6%)
Votes favorables: 934 073 (49,2%)
Votes défavorables: 964 749 (50,8%)
Cantons favorables: 8 2/2 (SZ, GL, ZG, BS, BL, TI, VD, NE, GE, JU)
Cantons contre: 12 4/2

La première initiative en faveur du droit de vote à 18 ans à l’échelle fédérale a échoué de justesse, avec 49,2% de votes favorables et un taux de participation de 49,6%. Seuls huit cantons et deux demi-cantons ont toutefois approuvé l’objet, si bien qu’une faible majorité exprimée par le peuple n’aurait pas suffi à faire modifier la Constitution.

Le Conseil fédéral avait commencé par rejeter une initiative parlementaire pour le droit de vote à 18 ans, invoquant l’absence de soutien exprimée lors des votations cantonales ainsi que le caractère non urgent de l’objet. Le Parlement a malgré tout soutenu l’objet et aucun parti ou presque ne s’est prononcé contre (Rielle 2010c). Le même dimanche, le peuple devait toutefois aussi se prononcer sur l’initiative «Sauvegarde des droits populaires et de la sécurité lors de la construction et de l’exploitation d’installations atomiques», très disputée, et qui avait relégué au second plan la question du droit de vote à 18 ans. Quasi absente de la campagne de votation, la proposition s’est donc contre toute attente soldée de justesse par un «non» (Rielle 2010c).

Les cantons qui ont le plus largement soutenu l’initiative étaient les cantons du Jura et de Schwyz, où l’on votait déjà à partir de 18 ans – Schwyz depuis 1898 et le Jura depuis sa fondation. En Romandie, Vaud, Genève et Neuchâtel soutenaient eux aussi le projet, en Suisse alémanique Zoug et Glaris, et enfin le Tessin. Le tableau diffère de celui qui a prévalu pour le vote des femmes en ce que des cantons alémaniques à tendance conservatrice, qui s’étaient pourtant prononcés contre le suffrage féminin, se sont déclarés pour l’abaissement de la majorité civique. Un autre cas intéressant à cet égard est celui du canton du Valais, dont la partie francophone a rejeté majoritairement le projet alors que le Haut-Valais se prononçait pour.

Ce rejet de justesse a finalement amené divers cantons à introduire le droit de vote à 18 ans pour les objets cantonaux, ce qui correspondait à la vision du Conseil fédéral à l’époque, qui voulait que les cantons soient les premiers à étendre le droit de vote sur leur territoire et montrent ainsi l’importance et l’urgence de la question.

  

4.2.2 La votation de 1991

  

Arrêté fédéral abaissant à 18 ans l’âge requis pour l’exercice du droit de vote et d’éligibilité (1991)

Date: 03.03.1991
Type de votation: référendum oblig.
Suffrages exprimés: 1 361 213 (31,3%)
Votes favorables: 981 425 (72,7%)
Votes défavorables: 367 647 (37,3%)
Cantons favorables: 20 6/2
Cantons contre: 0

Douze ans plus tard, la carte des résultats se présentait très ­différemment. Après que quelques cantons eurent franchi le pas et que les deux Chambres eurent approuvé le projet à l’unanimité, l’ensemble des cantons et 72,7% des votants se prononcèrent pour l’abaissement de la majorité civique à 18 ans. Il n’y eut quasi aucune opposition au projet, qualifié de «cadeau» offert par la Confédération à la jeunesse du pays, l’année même où elle fêtait ses 700 ans d’existence (Rielle 2010d).

D’une certaine manière, ce qui allait devenir la prochaine étape se dessinait déjà sur cette carte: le canton alémanique avec le taux d’approbation le plus élevé, Glaris, qui avait approuvé le vote à 18 ans à plus de 80%, est aujourd’hui le seul canton à avoir introduit le vote à 16 ans au niveau cantonal. Les seuls cantons à avoir voté à une plus large majorité pour l’abaissement de la majorité civique à 18 ans étaient les cantons de Vaud et du Jura, qui avaient toujours été partisans de l’élargissement du droit de vote et d’éligibilité et de l’intégration de plus vastes cercles de la population dans le processus politique.

  

4.2.3 Comparaison des deux résultats au niveau
cantonal

À la différence des votations sur le suffrage féminin, les deux votations relatives au droit de vote à 18 ans ne permettent pas de déceler de tendances claires qui découperaient la Suisse par régions linguistiques ou par types d’habitat. Le résultat de 1979 a de plus été largement fortuit, car très serré, et le vote aurait très bien pu basculer dans l’autre sens, contrairement à celui de 1991, qui brossait un tableau très uniforme sur l’ensemble de la Suisse. Nous avons de ce fait renoncé pour ce deuxième objet à affiner l’analyse jusqu’au niveau des communes. À l’échelle des cantons non plus (cf. figure 10), on n’a pas pu déceler de tendances vraiment remarquables, en tout cas pas en 1991. Seul fait notable peut-être, le canton du Jura a les deux fois approuvé l’introduction du droit de vote à 18 ans à la plus large majorité, alors qu’Appenzell Rhodes-Intérieures a été l’une et l’autre fois celui qui s’est le plus nettement prononcé contre.